Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 1er semestre 2023 (nouvelle formule)
Abonnement 1 an : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
DE QUEL SAINT BERNARD
avons-nous besoin aujourd’hui ?
Édito
QUELLE PRÉSENCE DE ST BERNARD ?
Au commencement de son existence, en 1991, Présence de saint Bernard se présente comme le bulletin de l’association « Grange Saint Bernard de Clairvaux », née dans l’élan du neuvième centenaire de la naissance de saint Bernard. L’association commence par regrouper des membres et des proches d’un spectacle conçu pour célébrer cet anniversaire, écrit par Daniel Facérias et mis en scène par Michael Lonsdale. Ce spectacle qui relate la vie de saint Bernard conduit certains à se demander s’il faut se contenter de représenter saint Bernard ou s’il ne convient pas de franchir une étape supplémentaire en vivant présentement de sa spiritualité. Passer de la commémoration à la mise en œuvre. Ainsi est née la Grange Saint Bernard.
Le mot « présence » exprime chez les fondateurs de la Grange le désir de vivre, en ce siècle, la spiritualité bernardine. C’est une présence pour eux, pour qu’elle soit éclairante dans leur vie, mais ils conçoivent aussi qu’ils peuvent en être les transmetteurs. L’association qu’ils forment se donne pour objet de faire connaître saint Bernard, de diffuser sa pensée et sa spiritualité par des formations, des expositions, des lectures publiques et de le rendre plus « présent » en eux et en ce monde. Le bulletin participera à cette mission de transmission.
UNE LIGNE ÉDITORIALE
Quand nous relisons les cent-vingt et un numéros de Présence, publiés de 1991 à 2022, nous voyons se dessiner une ligne éditoriale qui repose sur quelques idées-forces, sur quelques intuitions solides et sur un esprit de liberté, de création et de recherche qui, depuis les premiers temps, ne s’est pas démenti.
La ressource monastique
Il y a d’abord la conviction que le monachisme et la vie monastique sont une formidable ressource pour penser notre monde, le comprendre et trouver des solutions à ses problèmes.
Parce que l’on présente volontiers aujourd’hui la culture occidentale comme la cause de tous les maux de notre temps, on cherche hors d’elle des modèles de refondation de notre vie sociale, politique, économique et environnementale. On paraît ignorer que la culture européenne et occidentale n’est pas d’un seul tenant, qu’elle est faite de fractures et de résistances et que parmi celles-ci le monachisme a joué un rôle non négligeable. Il a été un pôle d’opposition au sein de l’Europe, un espace de résistance aux courants dominants de l’occident, sur des plans aussi divers que l’économie, la vie sociale, l’écologie et la philosophie. Entre autres choses, la vie monastique telle qu’elle s’est initiée, organisée et développée, des premiers siècles de la chrétienté à nos jours, a été et demeure un formidable laboratoire de la vie sociale et du rapport de l’homme à son environnement.
Sur le plan écologique, elle est une sorte de modèle possible. La sobriété dont on parle aujourd’hui pour résoudre les problèmes de changement climatique, est le cœur de la Règle de saint Benoît qui a inspiré le monachisme occidental. Elle fonde la technologie douce, mise en œuvre par les cisterciens, qui sont en quelque sorte les initiateurs de ce qu’on appelle aujourd’hui la low tech qui permet le travail humain dans la douceur et le respect contributif de la nature.
Sur le plan social et culturel, elle ne l’est pas moins. Les débats actuels sur le particularisme culturel et l’universalité trouvent nombre de réponses dans la vision monastique et dans l’organisation de l’ordre cistercien au début du XIIe siècle.
Par ailleurs, le monachisme a été aussi une formidable aventure d’Église, là encore dans l’affirmation d’une différence qui peut s’avérer fructueuse aujourd’hui. A ce titre, même si conjoncturellement ils paraissent en déclin, les monastères sont aujourd’hui, plus que jamais, une magnifique ressource pour l’Église abîmée et en urgence de reconstruction.
Il y a notamment au cœur de la Règle et de la vie monastique, cette intuition très forte que la vie communautaire est le lieu fondamental de l’Église du Christ. Nous vivons dans un monde fortement déchristianisé, rebelle à toutes les formes d‘autorité et aux institutions en général, très rétif à toute entreprise de transmission idéologique ou missionnaire, nous vivons dans un monde qui a de l’Église une image défigurée par les scandales. La seule chance de l’Église réside aujourd’hui dans le témoignage de ce qui, fondamentalement, l’anime : le commandement d’amour du Christ, que des hommes et des femmes peuvent donner en vivant réellement de l’Évangile, en expérimentant la charité au quotidien, en vivant de manière existentielle leur foi et leur espérance. Pour vivre dans ces nouveaux camps de base de l’Église, nous avons l’intuition que les ressources de la vie monastique sont fécondes et nécessaires.
La place des laïcs
Il y a une seconde dimension qui anime notre réflexion tout au long des pages de Présence. Il s’agit de la place des laïcs au sein de l’Église. La Grange a fait l’expérience d’une autonomie, du fait même de son histoire propre, ce qui ne signifie pas indépendance. Si la communauté qu’elle est n’est pas rattachée à une paroisse ou au diocèse, elle l’est à un monastère, Cîteaux. Elle ne l’est pas de manière organique mais, tout à fait dans l’esprit cistercien, à la manière d’une filiation, qu’on pourrait dire adoptive. Ce rattachement a pris la forme d’une charte d’alliance, réunissant deux communautés, l’une monastique, l’autre laïque, reconnaissant chacune la vocation de l’autre, et se donnant à chacune mutuellement une mission. Présence a porté depuis longtemps la réflexion sur ce terrain, en croisant ce que vivait la communauté d’une part et, d’autre part, l’histoire et l’expérience cisterciennes pluri séculières. Ces réflexions prennent aujourd’hui, à l’heure du synode sur la synodalité, un enjeu nouveau et sans doute vital.
UNE LIGNE ÉDITORIALE À DÉPLOYER
La ligne éditoriale qui s’est dégagée peu à peu, nous souhaitons aujourd’hui la déployer autrement que comme bulletin d’une seule communauté. Nous avons l’ambition de faire de notre publication le carrefour de ces convictions, de ces questions, de cette vision. Nous souhaitons que notre propos, demeuré confidentiel, puisse trouver un lectorat élargi. Nous souhaitons ouvrir
Présence de saint Bernard
à d’autres expériences communautaires laïques, explorer d’autres formes de liens avec le monde monastique, approfondir la place de celui-ci dans le monde.
QUEL SAINT BERNARD ?
Nous pensons le faire en gardant au centre de notre regard, comme sa pupille, la pensée vivante et vivifiante de saint Bernard qui a été non seulement l’ardent abbé fondateur de Clairvaux mais aussi un acteur du développement du « modèle » monastique à d’autres catégories de chrétiens : les paysans, les chevaliers, les femmes… Il a été aussi, au sein de l’Église, un pourfendeur de la cléricalisation, un défenseur de la pauvreté évangélique, un acteur et un réformateur de l’Église de son temps. Tout naturellement, c’est à saint Bernard que nous consacrons le premier numéro de cette nouvelle série. De quelle présence bernardine avons-nous besoin aujourd’hui ? En quoi sa pensée et son action nous éclairent-elles ? Parce que nous ne pouvons pas y répondre de manière exhaustive, cette question nous poursuivra et il faudra la reprendre, régulièrement. Elle donne son orientation à notre entreprise.