Présence de St Bernard n°115

Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 2e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27

Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux

N°115 : Vivre ensemble

FAIRE COMMUNAUTÉ VIVRE ENSEMBLE À LA LUMIERE DE CITEAUX

Hommage

BERNARD MASSON S’APPELAIT BERNARD

En ce début de 2021, Clairvaux est durement éprouvé. Une semaine après la disparition de Jean François Leroux, le président de l’association Renaissance de Clairvaux, une autre grande personnalité de la claire vallée nous a quittés, le docteur Bernard Masson, le 1e mars à l’âge de 97 ans. Il est cher à notre cour parce qu’il est l’un des fondateurs de la Grange Saint Bernard et le créateur de notre revue, Présence de saint Bernard.

Bernard Masson s’appelait Bernard. Et il ne l’a jamais oublié. Né dans une famille originaire de la Haute Marne, établie à Ville sous la Ferté, il a reçu un prénom qui signifiait la vénération qu’on portait dans sa famille au saint fondateur de Clairvaux. Et l’on peut dire qu’il a été fidèle à cette inscription car toute sa vie durant, il a cherché à se rapprocher de saint Bernard, en le lisant et en le faisant connaître autour de lui, mais aussi en mettant sa vie dans ses pas. Pour commencer, il est venu vivre à Clairvaux, en 1950, où il s’installe comme médecin. Puis il deviendra aussi le docteur des prisonniers, à la Centrale pénitentiaire. Il a relaté cette longue aventure dans un livre qu’il a publié il y a quelques années et dans lequel il témoigne de son attachement à saint Bernard, à l’abbaye et à la prison.

Bernard Masson était un homme de foi sincère et rigoureux. Il ne pensait pas que la foi se limite à la pratique dominicale. Pour lui, nécessairement elle s’incarne dans les moindres gestes et irrigue toute l’existence du chrétien. En cela il était proche des cisterciens. Il l’a largement prouvé par sa manière d’exercer la médecine, dans ses relations avec les détenus et en manifestant un réel souci pour les plus pauvres. Il a été l’artisan de l’installation de la fraternité saint Bernard en aidant les sœurs du Très Saint Sauveur à établir près de la prison une maison d’accueil et d’hébergement pour les familles qui venaient visiter les détenus. Sans lui, cette belle œuvre de charité ne se serait pas réalisée.

Lorsqu’en 1990, pour célébrer le 9e centenaire de la naissance de saint Bernard, il est question de monter un spectacle, Bernard Masson adhère au projet et se dépense sans compter pour le faire aboutir. Dans le sillage de ce spectacle, on se demande si saint Bernard doit rester cantonné à l’histoire et demeurer dans le passé ou s’il a une actualité pour notre temps. Il en est quelques-uns pour penser que la spiritualité bernardine a quelque chose à dire aux hommes de notre temps. Bernard et Odile Masson sont de ceux-là. Ils participent à la naissance d’un groupe de réflexion sur la spiritualité cistercienne qui deviendra la Grange saint Bernard, du nom de la grange d’Outre-Aube où le groupe se réunissait. Par la suite, Bernard Masson fut un membre actif de la nouvelle association, il créa la revue Présence de saint Bernard et mit ses talents de bricoleur au service de la rénovation de la grange. Les activités de la Grange aiguisent en lui le goût de l’histoire locale. Il se passionne pour l’histoire de Clairvaux, surtout celle des granges, s’engage dans les forêts proches à la recherche de vieilles bâtisses en ruine enfouies dans la végétation, comme Tire-Fontaine et Morins, qu’il aime à faire découvrir. C’est que comme son saint patron, Bernard Masson aime les arbres, les forêts, les sources, les rivières, les chemins. Il créa plus tard l’association Chemins et rivières pour entretenir ces lieux cisterciens, les faire découvrir, sauvegarder leur caractère sauvage et sacré.

Plût à Dieu que la manière très bernardine qu’il a eue de conduire sa vie ait créé autour de lui des vocations de même nature. Que par lui, vive encore longtemps le lieu de Clairvaux et les évènements toujours actuels de son histoire.

Édito

Sous le regard de Cîteaux, épisode 2

Voici le second numéro de notre série sous le regard de Cîteaux.

Les quatre numéros de cette année 2021 ont pour objet d’interroger, sous un angle cistercien, les grands enjeux de notre époque mise à l’épreuve par la pandémie et ses conséquences.

La crise sanitaire, nous le voyons chaque jour, bouscule notre existence en même temps que celle des nations, des économies et de la vie sociale. Elle a déséquilibré nos vies, brouillé nos repères, changé les critères sur lesquels la vie sociale, culturelle, économique et personnelle était construite. Cette crise nous affecte en profondeur, elle touche tous les domaines de la vie et singulièrement nos relations interpersonnelles et notre intimité, notre propre rapport à nous-mêmes – à notre corps, à notre environnement, à notre imaginaire. Elle affecte aussi notre manière de penser. Face à cette crise on entend s’exprimer deux types de réactions : la première exprime l’aspiration à un retour à la normale, que l’on assimile à la vie d’avant – vision qu’on pourrait qualifier de conservatrice (même si elle est souvent proférée par des tenants du progressisme) : pour eux, la crise est passagère et leur souhait est de retrouver la vie d’avant, le mode de vie qu’ils ont connu antérieurement au confinement d’il y a un an. Dans cette perspective, il n’y a pas réellement réengagement de la pensée. D’autres considèrent, au contraire, que la crise a affecté la vie si profondément et si durablement, que notre existence d’avant ne reviendra pas et qu’il nécessaire d’envisager d’autres horizons. Sur l’allure que peuvent prendre ceux-ci, on peut se diviser. Certains pourraient concevoir que la situation inédite que nous connaissons oblige à faire table rase du passé et à produire des formes de pensée, des modes d’action et des façons de vivre nouvelles (ce « progressisme » qui était le présupposé dominant de la vie d’avant). D’autres estiment que pour reconstruire une autre manière d’être et de faire, il faut s’appuyer sur les connaissances que nous donnent le passé et aussi, dans le présent d’aujourd’hui, des modes de pensée et de vie minoritaires ou que la pensée dominante a marginalisées. A propos de l’économie, nous avons dit déjà que les monastères avaient inventé des modes d’actions qui pouvaient être utiles, non pas pour être appliquées telles quelles, mais pour penser autrement la production, la distribution, le marché… Sur le terrain du vivre ensemble, il n’en va pas différemment.

Le vivre ensemble est l’un des domaines qui a été le plus affecté par la crise sanitaire. On peut même dire qu’il est frappé de plein fouet par les conséquences de la pandémie qui empêchent de se rassembler, cloisonnent, l’isolent, font désirer plus fortement les contacts, les embrassades, et en même temps les font craindre. Tout à coup, nous voici obligés de repenser le lien social, la manière de faire société. En cela comme en d’autres, Cîteaux, et d’une manière plus générale, le monachisme a forgé au fil des siècles des réponses qui font sa tradition et son trésor. Nous allons en explorer quelques aspects dans ce numéro. La question de ce vivre ensemble est bien évidemment centrale dans la Règle de saint Benoît.

Nous consacrons à la Règle le premier volet de ce numéro.

Cette livraison de Présence est dédiée à Bernard Masson qui vient de nous quitter. Il fut l’un des fondateurs de la Grange Saint Bernard de Clairvaux, l’initiateur de notre revue Présence de saint Bernard, dont il signa le premier édito. Dans les pages qui suivent, nous relirons ce qu’il écrivait à propos des débuts de la Grange. La préoccupation y était déjà le vivre ensemble. Il s’agissait de savoir comment construire une vie commune dans le sillage de saint Bernard. Ce souci de la vie communautaire demeure un thème pastoral majeur à la Grange. Denise Baudran, notre animatrice pastorale, y consacre quelques pages.

Mais le vivre ensemble ne se cantonne pas seulement à la vie communautaire interne, il a aussi une dimension élargie qui concerne nos relations avec les autres communautés et notre rapport au monde. Nous aborderons cette dimension à travers deux exemples : celui de deux communautés de laïcs qui s’épaulent dans l’adversité, et celui de l’abbaye de Boulaur et de son projet d’écotone.