Présence de saint Bernard existe depuis 1991. Le titre de notre publication dit l’attachement qu’a eu la communauté de la Grange dès son origine pour saint Bernard. Lorsque celle-ci s’est créée il s’est agi de rendre présente la pensée de saint Bernard dans l’aujourd’hui de notre temps. Cette présence de Bernard est donc active, existentielle, inventive. La revue a pour but de diffuser la culture et la spiritualité cistercienne et la manière dont des laïcs la vivent, en lien avec Cîteaux. Dans ce cadre, Présence de saint Bernard rend compte aussi de la vie et de l’expérience de la communauté Grange, actrice d’une Église vivante au sein du diocèse de Troyes et de la Famille cistercienne.
Comité de rédaction :
Denise Baudran, Pierre Alban Delannoy, Bernard Detrez, Stéphane Vincent
Responsable de la publication : P. A. Delannoy
Grange Saint Bernard de Clairvaux à Outre-Aube 10310 Longchamp-sur-Aujon.
www. laicscisterciensgrangeclairvaux.fr
Email : contact@laicscisterciensgrangeclairvaux.org
Tél : 03 25 27 29 41
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Grange Saint Bernard :
Depuis plusieurs mois, nous sommes entrés dans un temps fort de la vie de l’Église qui est la préparation du synode des évêques sur la synodalité. Chaque diocèse a tenu son propre synode, tous les chrétiens ont été conviés à témoigner de l’effectivité de la synodalité chez eux, dans leurs communautés, leurs paroisses, leur diocèse. A la Grange Saint Bernard de Clairvaux, nous avons participé à cet important mouvement et avons envoyé notre contribution à notre évêque. Le diocèse de Troyes a décidé de la faire figurer en annexe de sa synthèse. Nous en sommes très honorés et nous nous sentons impliqués dans l’aventure de la synodalité.
Impliqués, nous le sommes en tant que communautés de laïcs cisterciens soucieux de vivre l’évangile et de le faire rayonner, là où nous sommes, dans ce lieu source de Clairvaux. Nous le sommes aussi parce que nous appartenons à la famille cistercienne et que celle-ci possède dans sa tradition, dès la fondation de Cîteaux, un trésor, une formidable ressource en la matière, une expérience originale de la synodalité, qu’elle offre en cadeau à l’Église tout entière. Sans doute, pendant tout un temps, n’a-t-il pas été possible qu’elle le reçoive, le connaisse, le reconnaisse et se l’approprie. Les choses ont changé, notamment depuis le retournement qui s’est produit au synode sur l’Amazonie, en 2019, où l’Église particulière a été reconnue comme lieu central, où – comme l’a dit le pape François – la périphérie est devenue le centre (tout en demeurant la périphérie).
Dans ce numéro, fruit du séminaire qui s’est tenu à la Grange le 2 avril dernier, nous revenons sur les notions de synode et de synodalité. Nous consacrons aussi de nombreuses pages à l’Amazonie, bien sûr au synode qui lui a été consacré, mais aussi à ce que représente aujourd’hui le point de vue de l’Amazonie sur les plans anthropologique et sociétal et dont les textes synodaux rendent comptent. Le synode de 2023 est le fruit de ces bouleversements qui affectent l’Église et la mettent en mouvement.
Ce synode est en effet un mouvement. Ce n’est pas juste une consultation démocratique, il est un mouvement de fond. Notre évêque rappelait que le mot synode signifie cheminer ensemble. C’est ainsi qu’est né Cîteaux dans un cheminement incessant, dans des allers-retours entre Molesme, Lyon, Cîteaux, et ensuite grâce à la Charte de charité entre tous les monastères qui envoient leur abbé au chapitre général. Nous consacrons quelques pages à la synodalité intrinsèque de Cîteaux, à la manière novatrice qu’ont eue les cisterciens de nouer le local et le global, l’un des enjeux de notre synode actuel.
Cette question de faire vivre l’unité dans la diversité, c’est aussi un enjeu pour chaque communauté, la nôtre comme toutes les autres. Nous essayons aussi d’en rendre compte dans ces pages.
Il s’agit bien aujourd’hui, ici, d’inventer la synodalité. Non pas au sens de la fabriquer ex nihilo – c’est au contraire une vieille histoire, qui remonte aux premiers temps de l’Église. Le verbe latin invenire qui en est la racine veut dire tout à la fois trouver, découvrir, apprendre en s’enquérant, et même se retrouver. Tout le programme de ce synode.
Pierre Alban Delannoy
Présence de saint Bernard n°118
Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 1e trimestre 2022
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Charte de charité et parenté cistercienne
Edito
Comprendre et vivre la Charte de charité
Voici un numéro consacré à la Charte de charité. Il est directement le fruit du travail mené en août 2021 pendant notre semaine communautaire. Il s’agissait pour nous de mieux comprendre la Charte et de voir en quoi elle nous concernait dans notre vie communautaire de laïcs cisterciens, dans nos relations avec Cîteaux et plus largement avec la famille cistercienne. Plusieurs raisons nous avaient conduit à travailler sur ce sujet. D’abord, il y avait l’actualité récente. En 2019, la famille cistercienne avait fêté à Cîteaux le 900e anniversaire de la première publication de la Charte. Cet anniversaire a suscité de multiples manifestations, dont un important colloque au collège des Bernardins à Paris, des publications, des articles, des réflexions un peu partout.
La deuxième raison nous concernait davantage. Un mois plus tôt, en juillet, notre communauté avait reçu la visite du père abbé de Cîteaux. Au cours de cette seconde « visite régulière », celui-ci avait parlé de la Gange comme d’une fille adoptive de Cîteaux. C’est bien entendu sur fond de Charte de charité qu’un tel langage pouvait se comprendre.
La troisième raison tenait à la demande faite par la communauté de Chambarand, privée de monastère de rattachement de se lier à la famille cistercienne par la médiation de la Grange (voir PSB n° 115). A propos de cette médiation, l’idée de filiation, filiation adoptive, avait été avancée, nous replaçant dans le contexte de la Charte de charité. Par ailleurs la nouveauté du lien que nous engagions avec Chambarand nous obligeait à réfléchir à la nature des relations existant au sein de l’ordre et dont le fondement se trouve dans la Charte de charité.
Dans ce numéro nous nous intéresserons aux deux mots clés de la Charte de charité. Le mot charte : que signifie-t-il ? quel sens a-t-il pour nous ? A quels types de liens fait-il appel ? Le mot charité ensuite. Quelle est la charité dont il est question ? Quel enjeu est-ce pour nous tous ?
Les deux mots ne vont pas tellement bien ensemble. Comment comprendre leur association ? N’est-elle pas paradoxale ? Quelque chose qui fixe, qui détermine, réglemente, contraint et quelque chose qui ne peut pas s’encadrer, ou si elle l’était risquerait de perdre sa substance. Peut-on réglementer la charité ? Mais dans la Charte s’agit-il de cela ? En nous interrogeant sur le titre de la charte, il faut nous demander quelle est la nature du lien qui les lie. S’agit-il d’une charte qui est faite pour la charité : une charte pour rendre possible la charité ? pour la mettre en œuvre ? Une règlementation qui rendrait possible son exercice ? Dans cette perspective, la charité serait l’objet de la charte. Ou bien s’agit-il d’une charte élaborée par la charité ? La charte dont la charité est le sujet, produite par elle, de son exercice ? Ce n’est peut-être pas une alternative. Peut-être la réponse est-elle un mixte des deux.
Dans ces journées de réflexion, il ne s’agissait pas seulement de comprendre mais de voir ce qui nous concernait. Dans ce numéro, nous avons voulu croiser la compréhension de la Charte et des réflexions tirées de notre pratique pour examiner la manière dont nous pouvions en vivre.
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sommaire
2. Edito 3. La Charte de charité, brève introduction 4. Extraits de la Charte 6. Pierre Alban Delannoy Vous avez dit Charte ? 10. Pierre Alban Delannoy La charité de la Charte, qu’est-ce que c’est ? 14. Denise Baudran et alt. La communauté et la charte 17. Stéphanie Malarme Lecture. Le Héraut de l’amour divin. 19. Les activités de la Grange.
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Sommaire
Stéphane Vincent. L’Eglise d’ici, page 2
Edito. Sous le regard de Cîteaux, episode 3, page 3
Pierre Alban Delannoy L’Ecologie, un exercice de charité, page 5
Denise Baudran. Creusons, il en viendra de l’eau, page 8
Pierre Alban Delannoy. L’Amazonie, l’écologie et l’Eglise Page 10
Lecture biblique. La nature idolâtrée, page 13
Bernard Detrez. Notes de lecture, page 16
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Présence de saint Bernard n°117
Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 4e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux
la modernité
PROLOGUE DU PETIT EXORDE
LETTRE DES PREMIERS MOINES DE CITEAUX A LEURS SUCCESSEURS SUR LE DEBUT DU MONASTERE DE CITEAUX
Nous, les moines de Cîteaux, premiers fondateurs de cette Église, nous écrivons aux moines qui vont venir après nous. Par cet écrit, nous leur faisons connaître comment ce monastère a commencé, et de quelle façon nous avons vécu en ce lieu. Nous racontons comment tout cela s’est passé, selon le droit de l’Église et avec quels supérieurs. Nous donnons le nom et la date des événements.
Avec cet écrit, on pourra bien connaître la vérité sur le début de notre famille. Alors, ceux qui viendront après nous aimeront plus fortement ce lieu et notre façon de vivre la Règle. C’est Dieu qui nous a donné de commencer à mener cette vie.
Nous avons supporté le poids du jour et de la chaleur, sans nous décourager. Nous demandons à ceux qui viendront après nous de prier pour nous.
La Règle montre un chemin difficile et étroit. Sur ce chemin, nos successeurs fatigueront jusqu’à le dernier souffle. Mais un jour, ils déposeront leur corps comme on dépose un poids, et ils pourront se reposer, heureux, dans un repos sans fin.
Sommaire Prologue du Petit Exorde – page 2 Édito Sous le regard de Cîteaux, épisode 4 – page 3 Le livret du Retour (Jérémie, 32-35), Pierre Alban Delannoy – page 6 Cîteaux, une autre approche du temps Pierre Alban Delannoy – page 9 Fêter la dédicace de l’église de Clairvaux, Denise Baudran – page 10 La Nativité du Christ ou l’Histoire retournée, Pierre Alban Delannoy – page 14 Notes de lecture, Bernard Detrez – page 18 Nouvelles de l’Aube, Stéphane Vincent – page 19 Messe d’action de grâce à Cîteaux, Stéphanie Malarme – page 20
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EDITO Sous le regard de Cîteaux, épisode 4
Qu’est-ce qu’être moderne ?
Difficile à dire avec exactitude, car le sens de ce mot sans cesse employé ne cesse de muter.
Moderne renvoie d’abord à ce qui est actuel. Est moderne, ce qui est de notre temps, dans le vent. La modernité s’apparente à ce qui se fait aujourd’hui, dans le présent où nous sommes. Dans les années soixante on est moderne en dansant le twist, et on l’est aujourd’hui en dansant le hip-hop. Moderne signifie nouveau. La perception d’un présent différent du passé est relativement récente et n’a cessé de s’accélérer. On s’est mis à percevoir le monde dans le mouvement du temps, comme une réalité changeante, provisoire, appelée à être défaite, refaite, jetée à la poubelle, reconstruite. Dans un tel monde rien ne dure, tout est relatif. Difficile d’y concevoir l’absolu, la transcendance. Héraclite, au Ve siècle avant notre ère, le décrivait déjà comme une rivière qui coule. Le mouvement s’est accéléré depuis lors et en quelques décennies, la vitesse l’emporte et l’use, le démode, plus vite encore. On a parfois dit de notre monde qu’il était liquide. Si nous nous reconnaissons dans la modernité, nous nous identifions à ce mouvement et nous nous percevons nous-mêmes comme des bouchons emportés par le flux. Les humains deviennent des objets jetables eux-mêmes et dont les existences ne font que se succéder.
Une autre définition de la modernité est liée à un âge de la culture et de l’histoire humaine qui a précisément privilégié le temps dans sa représentation du monde. Au XVIIe siècle, en Europe, la littérature et les arts sont agités par la querelle des Anciens et des Modernes. Les tenants des Anciens (parmi lesquels on trouve La Fontaine, Racine, La Bruyère, Corneille) sont attachés à des formes artistiques immuables, venues de l’Antiquité grecque et romaine, tandis que les modernes (comme Charles Perrault ou Molière) prônent des thèmes et des styles nouveaux. La modernité veut le changement. L’art moderne, qui s’est développé en Occident au XIXe et XXe siècles, est une belle illustration des changements qui s’opèrent. Les peintres se mettent à changer de regard, en privilégiant la subjectivité. Les premiers, les impressionnistes se mettent à regarder non pas le paysage mais la manière ils les voient, altérés par la lumière changeante, les expressionnistes la manière dont ils sont transformés par leurs humeurs et leurs émotions. L’abstraction s’intéresse aux modifications de notre perception provoquées par la vitesse et le mouvement. Ce qui est central dans la modernité, c’est le sujet humain. L’homme prend la place de Dieu, il devient le critère et la mesure de toute chose.
Les Temps modernes ont mis l’histoire au cœur de notre représentation du monde. A partir du XVIIIe siècle, les Européens se sont mis à penser le monde à partir de son évolution. Ils ont vu dans la marche du temps, une avancée positive, les marques d’un progrès. Ce progrès a d’abord été sensible dans les sciences et les techniques, c’est-à-dire dans la manière dont celles-ci ont pu accroître notre connaissance de la nature, améliorer les conditions de vie de l’homme dans les domaines de l’hygiène et de la santé, des déplacements, du travail. Les Lumières ont fait entrer l’idée que cette évolution positive concernait aussi le domaine social et que les relations humaines pouvaient être objet de progrès. Ainsi a-t-on pu parler de progressisme. On a prétendu que l’humanité avançait dans son histoire vers une amélioration morale, sociale et politique. La philosophie idéaliste de Hegel a donné à l’Histoire une orientation positive. L’histoire n’est plus alors le compte rendu des événements qui se sont succédé dans le passé, mais elle est la substance même de la société et des activités humaines. L’Histoire a une finalité, elle est tendue vers un avenir qui lui donne son sens., qui donne au monde humain son accomplissement. Pour Marx, qui reprend le système hégélien en le renversant, l’accomplissement de l’Histoire est la fin des classes sociales. Il croit voir dans l’Histoire un mouvement de luttes des classes qui avance vers la victoire du prolétariat et l’établissement d’un état du monde sans classe sociale, le communisme. Le XXe siècle a été ce temps paradoxal au cours duquel, le progressisme n’a cessé de se développer tout en montrant sa vanité : les régimes communistes ont montré le visage cruel de la modernité (des centaines de millions de morts en URSS et en Chine) et le nazisme que le refus de la modernité n’était pas plus moral que celle-ci. La catastrophe écologique révèle, quant à elle, que la technique a engendré une destruction massive des espèces vivantes et du cadre naturel de la vie de l’homme lui-même.
La modernité s’est construite sur l’idée qu’il y avait un sens à l’Histoire, que celle-ci avançait vers un avenir plus radieux, que les avancées étaient inéluctables, que le présent est meilleur que le passé, que les inventions humaines ouvrent sur du mieux, que ce qui est actuel est supérieur à ce qui a précédé.
Toutefois, le XXe siècle a montré qu’il n’en était rien. A la fin de celui-ci est née l’idée de la fin de l’Histoire. Et la postmodernité a développé l’idée que le présent seul comptait et que tout se vaut dans un relativisme fusionnel. Le néolibéralisme s’est développé sur les nouvelles technologies de la vitesse et de l’immédiateté, du flux tendu et de la satisfaction immédiate. Les idées du progrès qui s’appuyait sur les attentes et la préparation d’un futur avaient au moins l’avantage de générer une espèce de patience sociale et de lever des espoirs communs.
La pandémie de la covid est venue bousculer ces rêves de présent intégral. Tout a été figé tout à coup, les transports suspendus, le flux distendu, la course folle de chacun stoppée. Nous avons retrouvé ou découvert la vie commune dans nos maisons, le silence dans les villes, la lenteur d’une existence apaisée, les angoisses aussi, le désir de faire vivre le local, de se retrouver à une plus petite échelle, un besoin de savoir qui on est, ce qu’on fait ensemble, notre histoire commune… Se sont même insinués le doute et la suspicion dans les techniques, dont les mouvements contre les vaccins sont l’une des manifestations.
Avec cette crise qui stoppe net les illusions de la modernité et l’hédonisme de la postmodernité, on peut mesurer peut-être mieux encore le vide dans lequel nous nous trouvons. La modernité et la postmodernité sont deux manières de concevoir l’homme sans Dieu, deux tentatives pour combler l’absence de transcendance par d’autres absolus, l’Histoire ou le Moi. Ce monde qui ne croit plus dans la tradition et dans la transmission, qui leur a préféré le présent et la communication horizontale, se trouve aujourd’hui dépourvu, face au vide, inapte à affronter les épreuves qu’il a pensées toujours surmontables.
Nous venons de vivre un choc (et nous le vivons encore), qui est que notre représentation du monde en a pris un coup. Nous pensions appartenir à un monde, lancé comme une sorte de fusée qui traversait le temps avec aisance et nous emportait dans une sorte de voyage sans limite et sans obstacle. Nous nous sentions des voyageurs sans bagage, libres, nous déplaçant sans limite, d’un bout à l’autre de la Terre, consommant avec avidité toutes sortes de produits, des biens matériels, des émotions, des idées, des rêves, changeant de vie comme nous le voulions, ou à peu près. Et puis, le choc. Un arrêt brutal de tout cela. Immobilisation des avions et des voitures, des spectacles et des produits. Tout à coup empêchés de se livrer à nos caprices, aux délices de la vitesse sur laquelle on surfe, à l’illimité de la liberté. Ce monde-là, ce monde sans Dieu, s’est arrêté en mars 2020. Un choc. Même si le monde d’avant, comme on dit, a repris, on sait bien que non, il n’a pas vraiment repris. On sait bien qu’il y a un après et que cet après signifie qu’on a changé de monde. En fait, bien entendu on n’a pas changé de monde, mais juste de manière de le voir. Y a-t-il un après à la modernité et à ses avatars ?
Il y a pour nous chrétiens une autre manière de concevoir le temps et l’histoire. Pour nous, aussi, il y a bien une finalité à la marche du temps, la Parousie, que nous attendons, le temps de la Réconciliation de Dieu et du monde. Elle achèvera l’Histoire, mettra un point final au Temps. Mais cette Réconciliation a déjà eu lieu, au cœur de l’Histoire, c’est l’évènement de la Résurrection de Jésus Christ, la première Parousie. Nous sommes dans un temps intermédiaire, comme dirait Karl Barth. Un temps qui n’est donc pas linéaire comme le pense la modernité, mais qui fait se nouer le passé et l’avenir.
C’est ce qui dit très bien le prologue du Petit Exorde, que reproduisons en tête de ce numéro, comme la bannière d’une autre vision du monde, où Dieu occupe la place centrale, où le passé féconde l’avenir, où l’avenir féconde le passé.
Ce quatrième numéro de l’année interroge la question de la modernité à l’aune de Cîteaux. A commencer par sa fondation. Il y a dans l’évènement de Cîteaux, au XIIe siècle, un grand paradoxe : il est la fondation de quelque chose de nouveau, que ses initiateurs appelleront d’ailleurs le Nouveau monastère, révélant une attitude qu’on pourrait dire « moderne », qui affirme fortement l’émergence du neuf, le surgissement d’un avenir différent. Mais cet événement a lieu au nom d’une tradition oubliée, d’un retour à la Règle de saint Benoît, qui est aussi un retour à l’évangile.
Le retour, c’est ce que prépare aussi le prophète Jérémie lorsqu’il est emprisonné dans une prison au cœur de Jérusalem assiégée par les Chaldéens. Il prépare l’avenir d’une nouvelle Jérusalem avec les outils donnés par Dieu dans le passé, au temps de Josué. La fête de la Nativité que nous fêtons ces jours-ci est aussi pour saint Bernard l’occasion de montrer comment Dieu retourne l’histoire humaine et rend obsolète toute idée de modernité. La dédicace de l’église de Clairvaux que nous avons fêtée pour la première fois le 13 novembre dernier nous introduit dans une lignée et dans une nécessaire transmission.
PAD
Présence de saint Bernard n°116
Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 3e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux
Les quatre numéros de cette année 2021 ont pour objet d’interroger, sous un angle cistercien, les grands enjeux de notre époque mise à l’épreuve par la pandémie et ses conséquences. Troisième épisode de notre série, ce numéro est consacré à l’écologie.
L’ECOLOGIE les enseignements de Cîteaux
EDITO Sous le regard de Cîteaux, épisode 3
Les mesures de confinement et de couvre-feu que la crise sanitaire a provoquées ont interrompu les courses folles dans lesquelles nous étions tous entraînés. L’arrêt qu’elles ont provoqué nous a permis de voir quel genre de vie nous menions, dans quelle folie nos sociétés s’étaient engagées et nous a parfois permis d’expérimenter un autre rythme, un autre style de vie, de se donner d’autres priorités, de percevoir d’autres besoins. La suspension du trafic aérien a rendu audible le chant des oiseaux, l’arrêt momentané des déplacements et des voyages nous a sensibilisé à notre environnement proche, la nécessité de s’aérer davantage nous a poussé à redécouvrir nos jardins, nos forêts, nos campagnes, une existence davantage centrée sur notre habitat, nous a fait reconsidérer nos lieux de vie et a aiguisé l’envie de vivre plus en harmonie avec notre environnement. Le virus lui-même a rappelé qu’il y avait sur notre planète des forces plus grandes que nous et que nos technologies, il a bouleversé nos croyances sur l’invincibilité de notre science, sur notre propre invulnérabilité. Il a été un agent de la nature que nous n’avions pas perçue auparavant.
La crise sanitaire a donc réactualisé la question de l’écologie en plusieurs de ses aspects.
Par ailleurs, l’actualité récente a montré que le dérèglement climatique était de plus en plus pressant et destructeur. Cet été, les perturbations et les catastrophes se sont multipliées, avec la canicule en Amérique du Nord, les incendies de forêts en Europe du Sud, la sècheresse ici, les pluies diluviennes qui ont affecté l’Allemagne, des ouragans et des tempêtes hors normes. Ce ne sont, nous le savons, que l’avant-garde de problèmes beaucoup plus graves comme la fonte des glaciers de l’Antarctique et de l’Arctique, la montée des eaux des océans, la submersion des littoraux les plus bas sur nos côtes et de nombreuses îles dans le Pacifique, l’agrandissement des déserts et des conséquences démographiques colossales. Ces phénomènes concernent l’ensemble de notre planète.
Avec la mondialisation de la pandémie, la globalisation économique et politique, l’afflux de réfugiés venus de zones de plus en plus désertiques, nous avons pris conscience à quel point nous dépendions tous les uns des autres. Nous avons appris à reconnaître la Terre comme notre village commun et que sa survie et la nôtre dépendait de nous tous et de chacun en particulier. Cette perception de notre responsabilité, nous avons encore de la difficulté à l’assumer. Nous trouvons facilement des boucs émissaires ou nous considérons que c’est de la faute des États, des industries, des sociétés, des autres. Nous avons du mal à avoir une vision d’ensemble des problèmes et les solutions proposées par les États et les organisations internationales semblent d’avance en retard et insuffisantes. Les diagnostics nous désespèrent et notre responsabilité personnelle semble ne pas correspondre à l’enjeu des problèmes. Comme pour l’économie, nous sommes pris entre deux perspectives, celle qui concerne la Terre tout entière et celle qui concerne le lieu où nous vivons.
Les moines ont toujours eu un sens aigu du lieu où ils vivaient en même temps que la conscience d’être reliés à l’ensemble de la Création et à toute l’humanité.
En particulier dans la manière d’habiter un lieu, les moines ont acquis une expérience, une sagesse qu’ils ont transmises au fil des siècles et dont ils sont les dépositaires utiles pour aujourd’hui. C’est l’expérience de ce que nous pourrions appeler une écologie domestique, fondée sur le respect de l’environnement et la recherche permanente de l’équilibre et de la mesure. On peut dégager ici une première piste qui serait celle d’un art de vivre, qui aujourd’hui nous fait défaut, et dont nous pourrions utilement nous inspirer pour engager ce qu’on appelle aujourd’hui la transition écologique. Nul doute que les monastères ont, dans ce domaine, beaucoup à nous apprendre.
Mais il faut se garder de chercher dans la tradition monastique un style de vie qui, comme tel, pourrait servir de modèle pour une transition écologique. Dans les numéros qui précèdent, nous avons déjà dit notre réticence à voir dans la vie monastique une source de recettes que l’on peut emprunter et adapter à une société sécularisée. La Règle n’est pas un traité de management, car le mode de vie qu’elle dessine est fondamentalement incompatible avec les présupposés de la technologie, de l’économie et de la gouvernance politique de nos sociétés libérales. La Règle est un chemin vers le Royaume de Dieu, une école de conversion. Nous avons déjà dit dans ces colonnes combien il est essentiel de ne pas désolidariser la vie monastique de son projet spirituel, de ne pas couper ses pratiques de son mobile qui est d’aller vers Dieu. Il en va de même pour les questions liées à l’environnement. Sans doute la vie bénédictine et cistercienne est-elle écologique, dans le sens où elle gaspille peu et prend soin de la nature, des hommes et des outils. Cependant, le travail « respectueux de la nature » que mènent les moines et les moniales n’a pas pour objet la nature elle-même. Il est une prière, une louange permanente à la Création. La nature n’existe pas en soi dans la pensée de Cîteaux. Elle est toujours accordée au travail de l’homme et celle-ci accordée à la relation à Dieu. Ce n’est pas la nature que soignent les moines, c’est la Création, c’est l’œuvre divine de la Création qu’ils prolongent par le travail et la prière.
C’est cette mise en perspective que nous nous proposons de développer dans les pages de ce numéro. Nous aborderons les questions écologiques de manière plus large que la seule défense de l’environnement, dans une perspective pastorale, ecclésiologique, comme nous y invite par ailleurs le pape François.
Une première leçon que nous donne Cîteaux consiste à envisager l’écologie comme un exercice de la charité, le maître mot de la Charte qui constitue l’ordre cistercien. Une seconde met l’accent sur la dimension existentielle liée au lieu de vie qu’est le monastère ou la grange et sur la place qu’a l’expérience dans la manière monastique d’habiter un territoire. A partir de cette thématique du lieu, nous chercherons à croiser l’enseignement de Cîteaux avec la manière dont le pape François nous invite à vivre l’écologie pour faire Église. Nous y trouverons de fortes convergences. Pour finir, un contrepoint biblique viendra nous alerter sur le risque, très actuel, d’idolâtrer la nature. Le grand combat des prophètes contre les baals trouve aujourd’hui une nouvelle actualité, sinon une nouvelle urgence.
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hommage à Bernard Masson
Présence de saint Bernard n°115
Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 2e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux
FAIRE COMMUNAUTE VIVRE ENSEMBLE A LA LUMIERE DE CITEAUX
Hommage
BERNARD MASSON S’APPELAIT BERNARD
En ce début de 2021, Clairvaux est durement éprouvé. Une semaine après la disparition de Jean François Leroux, le président de l’association Renaissance de Clairvaux, une autre grande personnalité de la claire vallée nous a quittés, le docteur Bernard Masson, le 1e mars à l’âge de 97 ans. Il est cher à notre cour parce qu’il est l’un des fondateurs de la Grange Saint Bernard et le créateur de notre revue, Présence de saint Bernard.
Bernard Masson s’appelait Bernard. Et il ne l’a jamais oublié. Né dans une famille originaire de la Haute Marne, établie à Ville sous la Ferté, il a reçu un prénom qui signifiait la vénération qu’on portait dans sa famille au saint fondateur de Clairvaux. Et l’on peut dire qu’il a été fidèle à cette inscription car toute sa vie durant, il a cherché à se rapprocher de saint Bernard, en le lisant et en le faisant connaître autour de lui, mais aussi en mettant sa vie dans ses pas. Pour commencer, il est venu vivre à Clairvaux, en 1950, où il s’installe comme médecin. Puis il deviendra aussi le docteur des prisonniers, à la Centrale pénitentiaire. Il a relaté cette longue aventure dans un livre qu’il a publié il y a quelques années et dans lequel il témoigne de son attachement à saint Bernard, à l’abbaye et à la prison.
Bernard Masson était un homme de foi sincère et rigoureux. Il ne pensait pas que la foi se limite à la pratique dominicale. Pour lui, nécessairement elle s’incarne dans les moindres gestes et irrigue toute l’existence du chrétien. En cela il était proche des cisterciens. Il l’a largement prouvé par sa manière d’exercer la médecine, dans ses relations avec les détenus et en manifestant un réel souci pour les plus pauvres. Il a été l’artisan de l’installation de la fraternité saint Bernard en aidant les sœurs du Très Saint Sauveur à établir près de la prison une maison d’accueil et d’hébergement pour les familles qui venaient visiter les détenus. Sans lui, cette belle œuvre de charité ne se serait pas réalisée.
Lorsqu’en 1990, pour célébrer le 9e centenaire de la naissance de saint Bernard, il est question de monter un spectacle, Bernard Masson adhère au projet et se dépense sans compter pour le faire aboutir. Dans le sillage de ce spectacle, on se demande si saint Bernard doit rester cantonné à l’histoire et demeurer dans le passé ou s’il a une actualité pour notre temps. Il en est quelques-uns pour penser que la spiritualité bernardine a quelque chose à dire aux hommes de notre temps. Bernard et Odile Masson sont de ceux-là. Ils participent à la naissance d’un groupe de réflexion sur la spiritualité cistercienne qui deviendra la Grange saint Bernard, du nom de la grange d’Outre-Aube où le groupe se réunissait. Par la suite, Bernard Masson fut un membre actif de la nouvelle association, il créa la revue Présence de saint Bernard et mit ses talents de bricoleur au service de la rénovation de la grange. Les activités de la Grange aiguisent en lui le goût de l’histoire locale. Il se passionne pour l’histoire de Clairvaux, surtout celle des granges, s’engage dans les forêts proches à la recherche de vieilles bâtisses en ruine enfouies dans la végétation, comme Tire-Fontaine et Morins, qu’il aime à faire découvrir. C’est que comme son saint patron, Bernard Masson aime les arbres, les forêts, les sources, les rivières, les chemins. Il créa plus tard l’association Chemins et rivières pour entretenir ces lieux cisterciens, les faire découvrir, sauvegarder leur caractère sauvage et sacré.
Plût à Dieu que la manière très bernardine qu’il a eue de conduire sa vie ait créé autour de lui des vocations de même nature. Que par lui, vive encore longtemps le lieu de Clairvaux et les évènements toujours actuels de son histoire.
EDITO Sous le regard de Cîteaux, épisode 2
Voici le second numéro de notre série sous le regard de Cîteaux.
Les quatre numéros de cette année 2021 ont pour objet d’interroger, sous un angle cistercien, les grands enjeux de notre époque mise à l’épreuve par la pandémie et ses conséquences.
La crise sanitaire, nous le voyons chaque jour, bouscule notre existence en même temps que celle des nations, des économies et de la vie sociale. Elle a déséquilibré nos vies, brouillé nos repères, changé les critères sur lesquels la vie sociale, culturelle, économique et personnelle était construite. Cette crise nous affecte en profondeur, elle touche tous les domaines de la vie et singulièrement nos relations interpersonnelles et notre intimité, notre propre rapport à nous-mêmes – à notre corps, à notre environnement, à notre imaginaire. Elle affecte aussi notre manière de penser. Face à cette crise on entend s’exprimer deux types de réactions : la première exprime l’aspiration à un retour à la normale, que l’on assimile à la vie d’avant – vision qu’on pourrait qualifier de conservatrice (même si elle est souvent proférée par des tenants du progressisme) : pour eux, la crise est passagère et leur souhait est de retrouver la vie d’avant, le mode de vie qu’ils ont connu antérieurement au confinement d’il y a un an. Dans cette perspective, il n’y a pas réellement réengagement de la pensée. D’autres considèrent, au contraire, que la crise a affecté la vie si profondément et si durablement, que notre existence d’avant ne reviendra pas et qu’il nécessaire d’envisager d’autres horizons. Sur l’allure que peuvent prendre ceux-ci, on peut se diviser. Certains pourraient concevoir que la situation inédite que nous connaissons oblige à faire table rase du passé et à produire des formes de pensée, des modes d’action et des façons de vivre nouvelles (ce « progressisme » qui était le présupposé dominant de la vie d’avant). D’autres estiment que pour reconstruire une autre manière d’être et de faire, il faut s’appuyer sur les connaissances que nous donnent le passé et aussi, dans le présent d’aujourd’hui, des modes de pensée et de vie minoritaires ou que la pensée dominante a marginalisées. A propos de l’économie, nous avons dit déjà que les monastères avaient inventé des modes d’actions qui pouvaient être utiles, non pas pour être appliquées telles quelles, mais pour penser autrement la production, la distribution, le marché… Sur le terrain du vivre ensemble, il n’en va pas différemment.
Le vivre ensemble est l’un des domaines qui a été le plus affecté par la crise sanitaire. On peut même dire qu’il est frappé de plein fouet par les conséquences de la pandémie qui empêchent de se rassembler, cloisonnent, l’isolent, font désirer plus fortement les contacts, les embrassades, et en même temps les font craindre. Tout à coup, nous voici obligés de repenser le lien social, la manière de faire société. En cela comme en d’autres, Cîteaux, et d’une manière plus générale, le monachisme a forgé au fil des siècles des réponses qui font sa tradition et son trésor. Nous allons en explorer quelques aspects dans ce numéro. La question de ce vivre ensemble est bien évidemment centrale dans la Règle de saint Benoît.
Nous consacrons à la Règle le premier volet de ce numéro.
Cette livraison de Présence est dédiée à Bernard Masson qui vient de nous quitter. Il fut l’un des fondateurs de la Grange Saint Bernard de Clairvaux, l’initiateur de notre revue Présence de saint Bernard, dont il signa le premier édito. Dans les pages qui suivent, nous relirons ce qu’il écrivait à propos des débuts de la Grange. La préoccupation y était déjà le vivre ensemble. Il s’agissait de savoir comment construire une vie commune dans le sillage de saint Bernard. Ce souci de la vie communautaire demeure un thème pastoral majeur à la Grange. Denise Baudran, notre animatrice pastorale, y consacre quelques pages.
Mais le vivre ensemble ne se cantonne pas seulement à la vie communautaire interne, il a aussi une dimension élargie qui concerne nos relations avec les autres communautés et notre rapport au monde. Nous aborderons cette dimension à travers deux exemples : celui de deux communautés de laïcs qui s’épaulent dans l’adversité, et celui de l’abbaye de Boulaur et de son projet d’écotone.
Présence de saint Bernard n°114
Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 1e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux
L’ECONOMIE SOUS LE REGARD DE CITEAUX
sommaire
- Fr Jean Claude Homélie du 26 janvier
- Edito
- Denis Huerre, L’homme de tous les hommes.
- Pierre Alban Delannoy L’économie sous le regard de Cîteaux.
9.. Culture totale. Lecture de Spiritualité et économie cisterciennes de Joël Regnard .
11-15. Pierre Alban Delannoy Les trois économies du Cîteaux d’aujourd’hui.
- 11. Questions-réponses sur l’économie productive. Interview de Frère Benoît.
- Construire une grange du XXI e siècle. Le projet de Boulaur.
- Denise Baudran. La Grange Saint Bernard. Produire ?
- Stéphane Vincent. L’Eglise d’ici : Marc Stenger.
- Bernard Detrez. Notes de lectures : Prière dans la vie.
EDITO
Sous le regard de Cîteaux
L’objectif des quatre numéros qui composent la série 2021 est d’interroger les grands enjeux de notre époque sous le regard de Cîteaux. Cîteaux voulant dire ici la vie et la pensée cisterciennes et plus largement la tradition bénédictine. La problématique qui sous-tend cette série est que la tradition monastique a quelque chose à nous apprendre dans la crise que nous connaissons et qui très probablement nous fait entrer dans une nouvelle ère de notre histoire. Le choc profond que provoque la pandémie du coronavirus sur la vie de nos sociétés à l’échelle de la planète tout entière oblige, nous le voyons bien, à reconsidérer nos modes de vie, nos relations interpersonnelles, notre rapport à l’environnement, l’économie, nos modes de gouvernance et pour tout dire notre pensée elle-même. Ce qui a changé c’est l’irruption dans notre vie et dans l’organisation de nos sociétés d’un corps, d’un grain de sable qui grippe nos mécanismes et nous oblige à penser plus globalement. On voit bien que tous les hommes sont concernés par la pandémie, nul point de la terre n’y échappe et pour la première fois nous sommes contraints de penser d’une manière globale. Dans le même mouvement, toute l’organisation du commerce mondial est perturbée, empêchée et oblige, à l’inverse, à penser en termes de limites. La crise du coronavirus nous entraîne donc dans un double mouvement de pensée contraire : penser l’ensemble de la planète et des hommes, regard universel qui prend en compte le commun des hommes, et mouvement inverse de gestion des problèmes et de la vie dans des territoires limités au sein desquels on peut agir avec les précautions auxquelles nous oblige la situation – précautions nécessaires, attention, soin, sollicitude et, osons le dire, avec charité.
Le parti pris que nous posons en abordant ces questions sous le regard de Cîteaux, consiste à dire que l’évènement Cîteaux, et avec lui toute la vie monastique dont il est l’héritier et le transmetteur, apporte sur cette double contrainte des réponses concrètes, forgées au fil des siècles, issues d’une sagesse rodée dans le travail et la méditation.
A toutes les questions que nous nous posons ou reposons au bénéfice de la crise actuelle, la vie monastique a avancé des réponses qui ne sont pas des solutions conjoncturelles, des conclusions provisoires, imposées par l’urgence, ce sont des réponses de fond, élaborées dans une pensée qui a pris son temps et qui, à certains égards, échappe aux aléas du temps, à ses accélérations et à ses bégaiements.
Dans ces quatre numéros, qui demeurent des essais, de modestes introductions, il s’agira d’entrevoir ou d’esquisser, sans compromis ni idéalisation, les réponses alternatives que proposent la vie monastique et spécialement le mouvement né à Cîteaux au XIIe siècle.
Ce numéro a été composé dans l’atmosphère de la fête des fondateurs, le 26 janvier. A cette occasion, le frère Jean Claude de Cîteaux a prononcé une homélie qui restituait bien l’esprit de la fondation et qui l’envisageait dans son actualité de maintenant. Nous la reproduisons ici en ouverture de ce numéro tant elle est en accord avec notre propos.
Chaque numéro de la série comportera deux parties. Un premier volet proposera une réflexion sur le regard de Cîteaux proprement dit. Ce regard, c’est celui des cisterciens et au-delà de toute la tradition monastique. Regarder le monde d’aujourd’hui avec les yeux de Cîteaux, c’est accepter de changer de logiciel, c’est reconfigurer les approches, se donner les moyens de penser autrement ce qui nous arrive. Dans ce numéro, nous nous intéresserons à la question de l’universel, qui est à nouveau d’actualité et souvent de manière polémique, en France spécialement à travers la question de la laïcité. Dom Denis Huerre a beaucoup réfléchi sur ce thème qu’il estime central dans l’anthropologie de la Règle. Nous nous mettrons à son écoute.
Le second volet de ce numéro est consacré à l’économie.
Sous le regard de Cîteaux une série de 4 numéros : N° 114 : l’économie, N° 115 : Vivre ensemble, N°116 : l’écologie, N° 117 : la modernité. |