Bulletin de la Grange Saint Bernard de Clairvaux 3e trimestre 2021
Abonnement 4 numéros : 20 € – N° ISSN 1 66 27 27
Série 2021 : Sous le regard de Cîteaux
N°116 : l’écologie
Sommaire Page 2. Stéphane Vincent. L’Eglise d’ici. Page 3. Édito Sous le regard de Cîteaux, épisode 3. Page 5. Pierre Alban Delannoy L’Ecologie, un exercice de charité. Page 8. Denise Baudran. Creusons, il en viendra de l’eau. Page 10. Pierre Alban Delannoy. L’Amazonie, l’écologie et l’Eglise. Page 13. Lecture biblique. La nature idolâtrée. Page 16. Bernard Detrez. Notes de lecture. |
Édito
Sous le regard de Cîteaux, épisode 3
Les mesures de confinement et de couvre-feu que la crise sanitaire a provoquées ont interrompu les courses folles dans lesquelles nous étions tous entraînés. L’arrêt qu’elles ont provoqué nous a permis de voir quel genre de vie nous menions, dans quelle folie nos sociétés s’étaient engagées et nous a parfois permis d’expérimenter un autre rythme, un autre style de vie, de se donner d’autres priorités, de percevoir d’autres besoins. La suspension du trafic aérien a rendu audible le chant des oiseaux, l’arrêt momentané des déplacements et des voyages nous a sensibilisé à notre environnement proche, la nécessité de s’aérer davantage nous a poussé à redécouvrir nos jardins, nos forêts, nos campagnes, une existence davantage centrée sur notre habitat, nous a fait reconsidérer nos lieux de vie et a aiguisé l’envie de vivre plus en harmonie avec notre environnement. Le virus lui-même a rappelé qu’il y avait sur notre planète des forces plus grandes que nous et que nos technologies, il a bouleversé nos croyances sur l’invincibilité de notre science, sur notre propre invulnérabilité. Il a été un agent de la nature que nous n’avions pas perçue auparavant.
La crise sanitaire a donc réactualisé la question de l’écologie en plusieurs de ses aspects.
Par ailleurs, l’actualité récente a montré que le dérèglement climatique était de plus en plus pressant et destructeur. Cet été, les perturbations et les catastrophes se sont multipliées, avec la canicule en Amérique du Nord, les incendies de forêts en Europe du Sud, la sècheresse ici, les pluies diluviennes qui ont affecté l’Allemagne, des ouragans et des tempêtes hors normes. Ce ne sont, nous le savons, que l’avant-garde de problèmes beaucoup plus graves comme la fonte des glaciers de l’Antarctique et de l’Arctique, la montée des eaux des océans, la submersion des littoraux les plus bas sur nos côtes et de nombreuses îles dans le Pacifique, l’agrandissement des déserts et des conséquences démographiques colossales. Ces phénomènes concernent l’ensemble de notre planète.
Avec la mondialisation de la pandémie, la globalisation économique et politique, l’afflux de réfugiés venus de zones de plus en plus désertiques, nous avons pris conscience à quel point nous dépendions tous les uns des autres. Nous avons appris à reconnaître la Terre comme notre village commun et que sa survie et la nôtre dépendait de nous tous et de chacun en particulier. Cette perception de notre responsabilité, nous avons encore de la difficulté à l’assumer. Nous trouvons facilement des boucs émissaires ou nous considérons que c’est de la faute des États, des industries, des sociétés, des autres. Nous avons du mal à avoir une vision d’ensemble des problèmes et les solutions proposées par les États et les organisations internationales semblent d’avance en retard et insuffisantes. Les diagnostics nous désespèrent et notre responsabilité personnelle semble ne pas correspondre à l’enjeu des problèmes. Comme pour l’économie, nous sommes pris entre deux perspectives, celle qui concerne la Terre tout entière et celle qui concerne le lieu où nous vivons.
Les moines ont toujours eu un sens aigu du lieu où ils vivaient en même temps que la conscience d’être reliés à l’ensemble de la Création et à toute l’humanité.
En particulier dans la manière d’habiter un lieu, les moines ont acquis une expérience, une sagesse qu’ils ont transmises au fil des siècles et dont ils sont les dépositaires utiles pour aujourd’hui. C’est l’expérience de ce que nous pourrions appeler une écologie domestique, fondée sur le respect de l’environnement et la recherche permanente de l’équilibre et de la mesure. On peut dégager ici une première piste qui serait celle d’un art de vivre, qui aujourd’hui nous fait défaut, et dont nous pourrions utilement nous inspirer pour engager ce qu’on appelle aujourd’hui la transition écologique. Nul doute que les monastères ont, dans ce domaine, beaucoup à nous apprendre.
Mais il faut se garder de chercher dans la tradition monastique un style de vie qui, comme tel, pourrait servir de modèle pour une transition écologique. Dans les numéros qui précèdent, nous avons déjà dit notre réticence à voir dans la vie monastique une source de recettes que l’on peut emprunter et adapter à une société sécularisée. La Règle n’est pas un traité de management, car le mode de vie qu’elle dessine est fondamentalement incompatible avec les présupposés de la technologie, de l’économie et de la gouvernance politique de nos sociétés libérales. La Règle est un chemin vers le Royaume de Dieu, une école de conversion. Nous avons déjà dit dans ces colonnes combien il est essentiel de ne pas désolidariser la vie monastique de son projet spirituel, de ne pas couper ses pratiques de son mobile qui est d’aller vers Dieu. Il en va de même pour les questions liées à l’environnement. Sans doute la vie bénédictine et cistercienne est-elle écologique, dans le sens où elle gaspille peu et prend soin de la nature, des hommes et des outils. Cependant, le travail « respectueux de la nature » que mènent les moines et les moniales n’a pas pour objet la nature elle-même. Il est une prière, une louange permanente à la Création. La nature n’existe pas en soi dans la pensée de Cîteaux. Elle est toujours accordée au travail de l’homme et celle-ci accordée à la relation à Dieu. Ce n’est pas la nature que soignent les moines, c’est la Création, c’est l’œuvre divine de la Création qu’ils prolongent par le travail et la prière.
C’est cette mise en perspective que nous nous proposons de développer dans les pages de ce numéro. Nous aborderons les questions écologiques de manière plus large que la seule défense de l’environnement, dans une perspective pastorale, ecclésiologique, comme nous y invite par ailleurs le pape François.
Une première leçon que nous donne Cîteaux consiste à envisager l’écologie comme un exercice de la charité, le maître mot de la Charte qui constitue l’ordre cistercien. Une seconde met l’accent sur la dimension existentielle liée au lieu de vie qu’est le monastère ou la grange et sur la place qu’a l’expérience dans la manière monastique d’habiter un territoire. A partir de cette thématique du lieu, nous chercherons à croiser l’enseignement de Cîteaux avec la manière dont le pape François nous invite à vivre l’écologie pour faire Église. Nous y trouverons de fortes convergences. Pour finir, un contrepoint biblique viendra nous alerter sur le risque, très actuel, d’idolâtrer la nature. Le grand combat des prophètes contre les baals trouve aujourd’hui une nouvelle actualité, sinon une nouvelle urgence.
Pierre Alban Delannoy